La préface d'Agnès Varda

Comme d’autres travaillent à leur jardin potager dans un espace entre la route et leur maison, pour cultiver leurs poireaux et leurs salades, Bodan Litnianski s’est créé un jardin artistique où il fait pousser des légumes en ciment, des totems en coquillages, des guirlandes en plastique et des bouquets de déchets.

Le facteur Cheval ramenait ses pierres dans sa brouette pour construire son Palais Idéal. Je me souviens de ma surprise quand je l’ai visité pour la première fois il y a plus de cinquante ans et que c’était sa famille qui guidait les rares curieux. Litnianski, lui, a ramené ses trésors dans la remorque de son vélo moteur pour construire son jardin idéal que des voisins désignent comme le jardin-coquillage.Ce lieu est déjà célèbre.

Et l’artiste se plaît à parler des émissions qui lui sont consacrées. De nos jours il n’y a plus d’artistes naïfs et ignorés. Pour ma part j’ai rencontré chez eux Litnianski, qui avait déjà quatre-vingt-sept ans, et sa femme. J’ai filmé l’artiste dans son jardin fantastique, en l’an 2000, quand je cherchais des glaneurs ayant fait quelque chose de leurs trouvailles parmi ce que les autres abandonnent. Oui, il a fait quelque chose avec les éléments et déchets qu’il a glanés un peu partout dans les poubelles, dans les coins de rue et dans les décharges municipales. Oui, les gens jettent toutes sortes d’objets, les fillettes et les garçonnets ou leurs parents jettent leurs poupées cassées et leurs mécaniques déglinguées. Et Litnianski les récupère avec des vieilles télés, des casques de moto, des ressorts, des seaux en plastique et autres pneus usagés.

Tout cela, c’est le matériau de Litnianski et il y ajoute évidemment du ciment, du plâtre, des treillis métalliques de fondation et des tiges de consolidation car il est maçon. Il a été maçon d’entreprise toute sa vie, il est devenu maçon de création et à plein temps dès sa retraite, composant ses constructions avec un maximum de soins techniques, assemblant de façon surprenante les éléments de sa collection et bâtissant des tours dressées pour qu’elles émergent du capharnaüm des autres compositions. Il est fier de son travail et il a raison.

C’est du solide - m’a-t’il dit -. Je suis un maçon. J’en connais un rayon”.

Comme Ferdinand Cheval était un facteur-artiste et Gaston Chaissac un cordonnier-artiste, j’aime beaucoup que Bodan Litnianski soit un maçon-artiste, créant sans guide - et sans éventuelle compréhension des siens - un univers à son goût dans cet espace de sa vie quotidienne, à sa porte et dans le terrain qui aurait pu voir pousser des poireaux et des salades.

Il préfère les poupées aux légumes. Il dit “Ah j’en aime bien des poupées. Ah c’est mon système. La poupée c’est quelqu’un”.

Litnianski aussi, c’est quelqu’un, le maître d’œuvre et le gardien de son jardin extraordinaire à part que ce n’est plus un jardin, c’est une forêt inextricable de mini-monuments et de sculptures d’assemblage. C’est un musée brut qu’il nous invite à visiter.

Agnès Varda, 2004

Couverture du livre Le jardin des merveilles de Bodan Litnianski